Préface par le poète Jean-Luc Maxence, pour le recueil
"L'arche de la révolte"
Éditions Le Nouvel Athanor, Paris, 2022
Ce poète est un « homme-loup » à nul autre comparable. C’est à jamais un enfant égaré de Bagdad. Un enfant volant. Il chante, s’élève et ne baisse jamais la tête devant personne. Il se situe à l’absolu contraire de toute mondanité de la "gauche caviar !"
Ce poète dénonce les « fascistes de l’Islam » et rejoint dans ses poèmes aériens la « fraternité légendaire » d’un monde inexploré. Salah Al Hamdani aime Albert Camus. Il faut dire que Le mythe de Sisyphe coïncide parfaitement à sa personnalité fière et libre. Le sait-il ?
Bien entendu, en domaine de poésie, en France, il y a l’incontournable Salah Stétié et son presque classicisme arabe. Mais il y a désormais la légende Salah Al Hamdani. Son mythe veut même qu’il ne sache pas, avec précision, la date de sa naissance ! C’est ainsi : Salah défie sans cesse le temps et la paix qu’il espère. Il ne supporte pas, en humaniste intégral,
d’avouer « Ce matin, encore, on a battu des hommes ». À ses yeux, une telle constatation est proprement insupportable. Voilà la force de Salah. Le tranchant même de son regard.
A l’heure de tirer sur la lune de son imaginaire, Salah devient « le gardien de poèmes inopinés », un « laboureur du brouillard » ! Toujours quand il se souvient de ses parents, c’est encore Bagdad qu’il survole et c’est le regard des bédouins du désert qu’il croise.
Salah Al Hamdani découvre « dans les restes des charniers de l’Histoire, « les corps merveilleux des veilleurs de rêve ». En cela il est immortel et notre frère à tous, les poètes.
Jean-Luc Maxence
Salah Al Hamdani
L'arche de la révolte
Jean-Luc Maxence
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Jean-Luc Maxence, note de lecture dans les cahiers du sens , éditions le nouvel Athanor, 2015
Salah Al Hamdani, Bagdad mon amour, suivi de Bagdad à ciel ouvert, péface de Jean-Pierre Siméon
Editions Le Temps des Cerises, 2014
Il écrit en français et en arabe, il écrit clair et net, dans un style accessible à tous, sans fioriture inutile, avec un lyrisme retenu et maîtrisé, son exil à la suite de son opposition à la dictature de Saddam Hussein, depuis 1975. « Puis une fois arrivés au pays / prenez tout / et oubliez-moi » (p.144). En quelques mots simples et authentiques, il sait créer une ambiance : « La maison avait changé d’adresse / ma photo avait changé de place / la table avait été pliée derrière la porte / la chaise de mon père, aussi / seul le vieux tapis fleurissait le sol »... Il n’y a désormais plus de doute : Salah Al Hamdani mérite sa notoriété grandissante. Il ne cède jamais à la démagogie du « poète engagé », parce qu’il est un poète de l’engagement incarné, et son poème « Ethique » (p.64) fait du bien à relire : « La tolérance est la première condition du bien-être / parce qu’elle maintient la probabilité / que le regard de l’autre / demeure traversé par une promesse de fraternité ».
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La poésie de Salah Al Hamdani
citée par Jean-Luc Maxence, dans son ouvrage :
Au tournant du siècle
Editions Seghers 2014 - www.edition-seghers.tm.fr
Extrait Page 81-83
Salah Al Hamdani n’a pas la notoriété de Salah Stétié, Tahar Ben Jelloun ou Abdellatif Laâbi. Mais il est à mes yeux l’un des plus engagés dans le concret du réel. Avant l’âge de vingt ans, il s’engage dans l’armée irakienne et, peu de temps après, se retrouve en prison pour avoir défendu des enfants kurdes arrêtés et tabassés. Une fois libéré de la dictature de Saddam Hussein, il n’en demeure pas moins menacé d’assassinat. Contraint à l’exil, il s’installe à Paris avec son égérie, Isabelle. Il s’oppose au gouvernement du tyran, puis à l’occupation anglo-américaine de l’Irak sous la présidence de George Bush. Il écrit en langue française de beaux poèmes, courageux et volontiers revendicatifs. Il est aussi metteur en scène et comédien. Parmi les textes vigoureux et pathétiques de Salah al-Hamdani, en voici un significatif d’une saine révolte. Il est dédié « aux victimes du tyran en Syrie » et porte pour titre « Rêve fossoyeur » : (Salah Al Hamdani, Le Nouvel Athanor, 2012).
Rêve fossoyeur
Aux victimes du tyran en Syrie
Un coucher de soleil froid
sur le seuil d’un jour vibrant
le ciel ensanglanté
comme un nuage épais qui s’effrite à l’infini
et la crainte de mon propre destin
Devenir un arbre
ma tête à la renverse
et l’horizon des hommes là-bas
La lumière dans mon crâne comme un souffle
accent sur mon visage
Je me suis enfin échappé
et le rien ballotte au bord de mon matin
morceau de lune
Dans ma cellule étroite
chaque nuit
l’Euphrate me rend visite
il y glisse délibérément
un écho de l’enfance
Sa voix pénètre le bruit de l’eau profonde
comme une lamentation
ainsi que l’innocence du jour orphelin
et ce frisson sublime
Je suis un détenu pour moi-même
mémoire dans cette cellule
Soudain je déplie ma voix
et une lourde obscurité
de gorge fracturée
emplie de mots coagulés
perle de ma bouche
Entre l’éveil et les sacrifiés de la Syrie
le silence des lâches et les saisons abasourdies
saisissent mon cœur
Leurs coups pleuvent sur mon visage
je les vois en rêve
Ils laissent des traces de sang le long de mon matin
et des chevaux coupés au jarret
peints sur la face du jour
Je suis un accusé
ligoté dans l’arène de ce monde
face à des questions sans lendemain
Et voici mon exil
Il reçoit votre révolte
Et le ciel
un témoin
suspendu au-dessus de ma tête
creuse loin dans le temps
Je crains la panique de l’âge
ainsi que l’humiliation de la rivière
le mystère
et l’ailleurs qui meurt au pied du mur
J’étais dans le sommeil.
Je voyais les veines de vos morts toucher mon visage,
ma poitrine, mon dos, mes jambes et mes bras.
Alors, calmement, j’ai compté ces vaisseaux qui pénètrent la peau et la pensée,
et vont s’écraser finalement contre un rêve
Rêve fossoyeur
odeur d’herbe fraîche autour de mes sueurs froides
épine d’un souvenir informe
dans une obscurité polie
Ne faut-il pas se réveiller en sursaut
pour ôter l’épée du corps du sacrifiés
Salah Al Hamdani in, Le Nouvel Athanor, 2012
À dire vrai, toute sa vie durant, Salah Al Hamdani aura « le cœur à Bagdad » et, pour reprendre l’une de ses images, il plantera « les instants délaissés de l’exil en dune de pierre ». Il sait entremêler les souvenirs cruels et les mouvements de la douleur et de la joie. En ce vingt-et-unième siècle où tant de victimes suppliciées gisent au bord des routes, le poète restera comme un témoin fier, s’insurgeant contre la barbarie des hommes dans le livre de sable du temps.
Bien entendu, ce chapitre pourrait passer en revue les poètes importants du monde islamo-arabe qui poétisent en langue française et les louanger sans retenue. On pourrait ainsi évoquer Adonis, à qui ses admirateurs veulent depuis longtemps donner le prix Nobel. Entre autres. Nous préférons renvoyer le lecteur à un ouvrage du même Adonis, Introduction à la poétique arabe (éditions Sindbad, 1985), s’il souhaite se faire une idée assez juste de la situation présente de la poésie en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Jean-Luc Maxence 2014